Siméon et l'enfant Rembrandt 1669 |
Siméon et l'enfant Rembrandt 1669 |
Lectures : | Luc 2,22-39 (Siméon et Anne) |
«
Maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu laisses
ton serviteur s'en aller. »
Cette
parole mérite que l'on s'y arrête, particulièrement au vu de
l'actualité de cette semaine.
«
Tu laisses ton serviteur s'en aller ». On comprend qu'il s'agit de
la mort de Siméon. On le comprend, parce qu'il nous est dit qu'il
lui avait été révélé qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir
vu le Christ du Seigneur, celui à qui Dieu a donné l'onction, le
Messie de Dieu…
Maintenant,
je peux m'en aller, je peux mourir. Cela ne veut pas dire qu'il va le
faire tout de suite. Le récit ne dit pas que Siméon meurt. Juste
qu'il peut mourir, qu'il est en paix.
Ce
que l'on traduit par « laisser s'en aller » c'est le mot grec à
apoluein,
qui veut dire délier, libérer.
«
Maintenant, Maître, tu me délies en paix ».
Délier,
libérer, mais de quoi ? Qu'est-ce qui liait Siméon ? Qu'est ce qui
le retenait ?
La
réponse du récit, c'est qu'il était lié par l'attente. L'attente
de la consolation
d'Israël.
L'attente d'autre chose que la situation qu'il connaissait, celle
d'un pays occupé par les Romains. Une attente qui allait plus loin
que ce seul contexte politique. L'attente de l'avènement de quelque
chose de vraiment nouveau.
Il
n'était pas seul à attendre. La vie prophétesse Anne attendait
aussi, elle s'empresse de parler de l'enfant à tous ceux qui, comme
elle, attendent. Attendent quoi ? « La
libération de Jérusalem
» nous est-il dit. Mais c'est clairement la même attente que celle
de Siméon, et c'était déjà celle de Marie, lorsqu'elle rencontre
Elizabeth, et qu'elle exprime son fameux Magnificat…
Cette
attente, ce regard tendu vers quelque chose qui doit venir, elle est
à la mesure de la souffrance de ces gens.
Les
Romains étaient pourtant des occupants relativement accommodants.
Ils laissaient à cette population locale le droit d'adorer son Dieu,
mais ils y ajoutaient les leurs!
En
Judée, les Romains étaient confrontés à une situation
particulière : les Juifs étaient monothéistes, il refusait
d'adorer d'autres dieux que le Dieu unique. Et surtout pas l'empereur
divinisé !
Mais
les romains voulaient imposer la paix à leur manière, seule
condition pour que leur économie fonctionne… alors ils ont toléré
le judaïsme en particulier à Jérusalem, et ils ont laissé une
certaine part de pouvoir aux autorités religieuses locales.
Mais
les gens comme Siméon n'étaient pas satisfaits. Ils ne se sentaient
pas vraiment libres. Et surtout il ne se sentait pas vraiment
respectés. Ils supportaient mal la condescendance opportuniste des
Romains.
Pourtant,
dans le fond, les romains avaient inventé un système permettant le
pluralisme religieux. Un système qui laissait place pour des
croyances différentes, même au sein d'une ville : voyez Rome,
Athènes ! De ce point de vue, Jérusalem était une exception, une
sorte de zone spéciale dédiée à un culte particulier.
Durant
le Moyen Âge, on retrouve des situations de pluralisme religieux
comparables, mais pas en Occident. Pensez à des villes comme Bagdad,
qui était un immense pôle culturel et intellectuel à l'âge d'or
de l'islam (8ème
–13ème
siècle), et qui rassemblait aussi bien des juifs, des chrétiens que
des musulmans ! C'était la dynastie des Omeyyades, le fameux
califat. Un modèle d'ouverture interreligieuse avant la lettre!
Quand on pense à ce que Bagdad est devenue… Et quand on pense à
l'actuel prétendu califat de l'Etat Islamique, un modèle de
fanatisme et d'exclusion…
Le
cas de l'Occident est différent: pas de place pour le pluralisme.
Là, dès le quatrième siècle, on a imposé la chrétienté. Quand
plus tard la chrétienté se complexifiera (notamment à la Réforme)
on gardera le principe que chaque région a sa religion.
Malgré
l'introduction de l'idée de la laïcité de l'État, les nations
modernes sont héritières de cette tradition (et elles en ont
parfois la nostalgie).
La
laïcité, la séparation des pouvoirs, sont des principes qui ont
été introduit à la fin du 19ème
et au début du 20ème
siècle. L'idée était à l'époque de mettre l'État à l'abri des
luttes entre les confessions, et d'empêcher que l'une d'entre elles
monopolise la politique de l'État. Il s'agissait de garantir à
chacun la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas
croire.
Mais
on était encore clairement dans un contexte chrétien, ce n'est que
récemment qu'il est devenu multi-religieux.
Les
deux guerres mondiales ont contribué à globaliser ce principe : un
pays, une identité. La création de l'État d'Israël procède de la
même logique, un État pour les juifs rescapés de la guerre.
Même
les pays arabes qui avaient une tradition de pluralisme, ont vu ce
pluralisme disparaître à quelques rares exceptions près (le Liban
?).
Et
quelle est la situation chez nous aujourd'hui ? Celle d'un pluralisme
de fait, dans des États qui n'ont pas été pensés pour ce type de
pluralisme.
Certains
pensent que tout est bien. Que la laïcité de l'État, complétées
de la liberté d'expression, fonctionnent aussi dans la situation
nouvelle et laissent à chacun la place de vivre pleinement ses
convictions.
D'autres
pensent que la laïcité ne va pas assez loin. A leur avis, la
religion est un problème. Non seulement elle doit rester dans la
sphère privée, mais le monde serait meilleur si elle disparaissait.
Ils
parlent de la religion comme de quelque chose que l'on pourrait
définir et analyser du dehors. Ils ne se privent pas de la
critiquer, tantôt avec humour, tantôt avec condescendance, tantôt
avec mépris. « Votre religion… »
Ce
qu'ils oublient, c'est que eux aussi sont dans un système de
croyances, qui est comparable aux religions qu'ils critiquent. Ils ne
sont pas au-dehors. Les mêmes menaces les guettent : le fanatisme,
le totalitarisme, l'exclusion, la violence.
Ils se font comme religion de ne pas en avoir, c'en est une quand même!
Ils se font comme religion de ne pas en avoir, c'en est une quand même!
Je
reviens à la souffrance de Siméon et de ceux qui, avec lui,
attendaient la consolation d'Israël. Une part de leur souffrance
venait de ce que la tolérance que les Romains leur montraient,
n'était en fait que mépris et opportunisme.
Les
croyants d'aujourd'hui, vous et moi, nous nous retrouvons de plus en
plus souvent dans cette même situation. Nos convictions font
sourire. Certains s'en moquent. D'autres nous font des reproches.
C'est
vrai même quand nous sommes membres d'une église officielle, comme
ici à Berne. Cela l'est encore plus quand on appartient à une à
une religion minoritaire, et qu'on est né par exemple dans une
banlieue de Paris.
En
particulier, il ne fait pas bon être musulman de nos jours…
Que
mes propos soient clairs. Je ne suis pas en train d'excuser les actes
de brigandages commis la semaine dernière. Ce sont des crimes
odieux. Mais leur énorme visibilité, leur caractère symbolique, et
le fait que nous connaissons les victimes, ne doivent pas en faire
plus que ce qu'ils ne sont : des actes de brigandages commis par des
brigands. Nous ne devons pas oublier qu'au moment où nous parlons,
d'autres actes… mais des actes de guerre, ont lieu en Syrie, au
Nigéria et ailleurs, qui causent des morts par milliers et des
personnes déplacées par millions.
*
* *
Or
voici que Siméon voit l'enfant Jésus. Il se sent aussitôt comme
libéré de sa frustration, libéré de son attente, parce qu'il a vu
le Messie.
Et
voici comment il béni Dieu :
« maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu délies ton serviteur.
Car mes yeux ont vu ton salut
Que tu as préparé face à tous les peuples :
Lumière pour la révélation aux nations (c'est-à-dire aux non-juifs)
Et gloire d'Israël mon peuple. »
« maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu délies ton serviteur.
Car mes yeux ont vu ton salut
Que tu as préparé face à tous les peuples :
Lumière pour la révélation aux nations (c'est-à-dire aux non-juifs)
Et gloire d'Israël mon peuple. »
*
* *
Chers
amis,
Vous
le sentez comme moi: Cette intuition de Siméon a une portée qui
déborde son propre peuple (le peuple d'Israël). C'est comme si, du
cœur de son attente nationaliste
(la consolation d'Israël) il avait soudain perçu la dimension
universelle de la promesse !
Quelque
chose se passe, qui vaut aussi pour les Romains, tout arrogants
qu'ils soient.
Quelque
chose se passe, qui va être douloureux, Siméon le pressent et il le
dit à Marie.
Quelque
chose se passe, qui va transformer le monde. Ce Messie ne sera pas
tel qu'on l'imagine. Mais ce qu'il accomplira dépasse l'entendement.
*
* *
L'universalité
? Longtemps que les Églises l'ont interprétée en pensant que
c'était leur rôle de faire que tout le monde devienne chrétien.
Aujourd'hui nous ne savons plus très bien comment faire, dans un
monde qui pousse les uns à l'extrémisme, et les autres au rejet de
toute forme de religion.
Tout
cela demande à être repensé réfléchi. Nous sommes encore sous le
choc des événements de la semaine dernière.
Il
faudra un jour penser des modèles favorisant un pluralisme
vraiment respectueux de chacun.
Il
faudra un jour penser une liberté
d'expression
qui ne soit pas une liberté de mépriser les autres.
Je
termine avec deux recommandations provisoires, pour nous en tant que
communauté de croyants.
– Ne
nous prenons pas pour plus que nous sommes !
Nous
ne sommes qu'une voix parmi d'autres, une voix souvent critiquée.
N'ayons pas la prétention de penser que le monde est suspendu à nos
lèvres.
– Ne
nous prenons pas pour moins que nous sommes !
Comme
Siméon nous avons vu quelque chose et cela nous donne de l'espoir!
Plus
loin que Siméon, nous avons suivi le parcours terrestre de
Jésus-Christ. Nous savons que son Règne n'est pas de ce monde, mais
que ce Règne existe déjà. Nous savons que le Christ y trône en
de la mort par l'amour.
La
consolation d'Israël, c'est la nôtre.
Amen
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