D'un côté, un pilote qui s'enferme dans son cockpit et, semble-t'il en toute conscience, conduit son avion vers un choc qui causera sa mort et celle de tous ses passagers. De l'autre, Jésus, qui entre à Jérusalem, et va en connaissance de cause vers sa mort. Deux destins diamétralement opposés et qui pourtant se ressemblent.
Prédication du dimanche des Rameaux, 29 mars 2015, Berne
Lectures : | Matthieu 21,1-11 Matthieu 21,12-17 |
Chers Amis,
Un pilote qui s'enferme dans son cockpit et, semble-t-il en toute conscience, conduit son avion vers un choc qui causera sa mort et celle de tous ses passagers.
Un acte qui nous laisse dépourvus, hébétés, remués de sentiments contradictoires.
Un acte dont les raisons nous échappent, et dont il n'est pas sûr que nous les connaissions un jour, n’en déplaise aux journalistes.
Un suicide, et le meurtre de 149 personnes dont le seul tort était d'être là au mauvais moment.
Je ne veux pas entrer dans des spéculations sur les causes de ce qui n'est en fin de compte qu'un tragique fait divers.
Je veux penser aux familles et aux personnes endeuillées, y compris les parents de ce pilote.
Mais je ne veux pas oublier les proches de victimes d'autres accidents dont personne ne parle, accidents de la route par exemple, souvent aussi dus à des comportements incompréhensibles, agressifs, irresponsables.
Mais je ne veux pas oublier les proches de victimes d'autres accidents dont personne ne parle, accidents de la route par exemple, souvent aussi dus à des comportements incompréhensibles, agressifs, irresponsables.
Mais je veux revenir sur ce que cette catastrophe aérienne nous fait, parce que cela a trait au thème de la mort volontaire, du suicide, un thème hautement tabou dans notre société.
Je veux mettre ce thème en parallèle avec ce que fait Jésus, quand il entre à Jérusalem en sachant ce qui l’attend, quand loin de chercher le compromis, il va vers la confrontation avec ses adversaires. L'attitude de Jésus serait-elle suicidaire ? Est-il un fanatique ? Est-il un fou, un malade mental ?
C'est souvent ce qu'on dit d'une personne suicidaire. « Elle est malade ». « Elle est dépressive ». On part du principe qu'elle souffre et qu'elle voit comme seule issue possible, de mettre fin à ses jours. Bien sûr, c'est parfois le cas.
Mais le suicide sert aussi souvent d'excuse pour une immense violence contre les autres. Là ce n'est pas l'abattement qui domine, mais la volonté d'accomplir quelque chose d'exceptionnel, de transgressif, quitte à s’en punir soi-même, quitte à se condamner soi-même à la peine capitale. Comme si cette autopunition rendait acceptable le mal fait aux autres.
L’idée de passer, ne serait-ce que pour un instant fugace, de l’impuissance à la toute-puissance: D'avoir droit de vie et de mort sur les autres et sur soi; de devenir un dieu, un dieu qui rétablit la justice, qui punit. Un dieu qui fait mal, terriblement mal.
Est-ce une maladie, de penser comme ça ?
Ou est-ce une tentation, que nous connaissons tous d'une manière ou d'une autre ?
Une tentation que certains traduisent en devenant des chefs autoritaires, d'autres en cherchant à faire fortune en boursicotant, d'autres encore en vivant dans des mondes parallèles, par exemple dans le monde imaginaire des jeux vidéo, ou encore dans des paradis artificiels.
Une tentation renforcée par une culture qui met l'individu au centre de tout, et qui lui donne mission de réussir sa vie, d'être dynamique, beau et puissant.
Peut-être est-ce pour cela que nous éprouvons une telle gêne devant un suicide, une gêne qui nous conduit à disculper un peu trop vite l'auteur de cet acte, à le voir comme une victime, s'interdisant par là de lui en vouloir !
Or les psychologues nous apprennent que s'interdire la colère conduit à prendre sur soi la faute, à se culpabiliser à la place de l’autre. En effet, les vraies victimes, ce sont celles et ceux qui restent. Celles et ceux qui subissent les conséquences de l’acte violent.
* * *
Or donc on accueille Jésus comment roi, quand il entre à Jérusalem. La foule se mobilise pour le voir, dans son rôle de prophète qui accède symboliquement à la royauté, lui le descendant de David.
Le voilà devenu puissant ! Le voilà, qui va pouvoir rétablir la justice ! Il se montre dans son autorité : « vous trouverez une ânesse est un ânon : amenez-les moi ! ».
C'est sûr, il va régner. Hosanna !
Eh bien non! C'est comme s'il faisait exprès: Tout de suite, il bouscule non pas les ennemis Romains, mais l'ordre établi du temple, les chefs religieux de son propre peuple.
Et déjà se prépare ce qui doit arriver. Les grands prêtres et les scribes s’indignent. Et Jésus ne va pas cesser de les provoquer. Dans l'évangile de Mathieu, ce sont quatre chapitres consécutifs d'attaques en règle contre les pharisiens, entre l’entrée à Jérusalem et le récit de la Passion proprement dite :
- Il chasse les marchands du temple
- Il maudit un figuier
- Il refuse de répondre quand on lui demande d’où lui vient son autorité
- Il dit des paraboles sévères contre les pharisiens
- Il les accuse d’être des hypocrites
- Il pleure sur Jérusalem
- Il annonce la destruction du temple etc..
Aujourd'hui, on parlerait d'un suicide politique. Mais ce refus de tout compromis fait de lui un ennemi à combattre, et bientôt un ennemi à éliminer. Même s’il a raison, il gêne trop !
L'évangile de Mathieu nous montre un Jésus, pleinement conscient de ce qu'il fait.
Un Jésus qui n'est certainement pas désespéré, encore moins dépressif.
Un Jésus qui parle de sa mort prochaine, mais aussi de sa résurrection:
«Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'Homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens pour qu'ils se moquent de lui, le flagellent, le crucifient ; et le troisième jour, il ressuscitera». Matthieu 20,18–19
Un Jésus, conscient que sa mort va jouer un rôle, qu'elle va être un tournant.
Mais un Jésus qui distingue clairement sa propre mission de celle de ses disciples : «vous allez tous tomber à cause de moi!».
Non pas tomber dans la mort : tomber dans le reniement !
Personne ne va suivre Jésus sur son chemin vers la croix. Personne ne le peut.
C’est seul qu'il ira vers une mort qu'il accepte, mais qu'il ne se donne pas lui-même, et dans laquelle il n’entraîne personne !
Quant à la Passion, ce sera le contraire d'une quête de toute-puissance. Elle sera faite de renoncement, de lâcher-prise, de solitude, jusqu'à éprouver l'abandon total : « mon Dieu mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ».
Loin d'être une prise de pouvoir morbide, motivée par la haine, la Passion de Jésus le conduit à nous rejoindre au cœur de notre fragilité humaine, à prendre cette fragilité sur ses épaules, et tout cela, par amour.
L'accomplissement, il viendra après ! «Je vous précéderai en Galilée» dit-il à ses disciples. Le lieu de l'accomplissement des promesses ne sera pas le lieu de la mort, mais le lieu de la rencontre avec le Vivant !
C'est dans ce lieu, lieu de la vie, que nous voulons nous tenir nous aussi aujourd'hui.
Et au nom de la vie de Jésus, vie donnée, même au delà de la mort, nous voulons dénoncer la violence injuste, en particulier celle qui consiste à s'arroger un droit sur la vie des autres et sur la sienne.
Nous ne nous appartenons pas.
Nous appartenons à ceux qui nous aiment.
Nous appartenons à Dieu, qui nous a aimés le premier.
Amen
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire