De toutes les nations faites mes disciples |
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Chers Amis,
Les chrétiens
d'aujourd'hui ont mal à leur mission. Ils ont mal à leur histoire,
et en particulier à la façon dont cette histoire s'est développée
au travers d'une mission mal comprise, qui a servi de couverture, de
justification aux pires exactions. Je pense en particulier à la
conquête du prétendu Nouveau Monde, puis à la colonisation. Mais
on peut aussi voir les Croisades comme une tentative de reconquête
de quelque chose d’autrefois gagné.
Les chrétiens
d'aujourd'hui ont peur d'être missionnaire, précisément à cause
de cette histoire, à cause de la façon dont une bonne nouvelle
porteuse d'espoir a servi de justification à la destruction de
peuples entiers, à un asservissement d'une part de l'humanité, dont
on sent encore les traces aujourd'hui, et plus que des traces, des
lignes de fractures, une division de l'humanité.
« Allez
donc : de toutes les nations faites des disciples ! », c'est une injonction qu'on ose à peine lire aujourd'hui, quand
on sait ce qui a été fait au nom de cette parole !
Mais c'est peut-être
précisément pour ça qu'il faut la
lire, pour comprendre ce qui s'est
passé mais aussi pour redéfinir notre position de croyant,
aujourd'hui, au sein d'une société qui prend ses distances avec les
Églises, tout en continuant de cautionner certaines fractures
planétaires héritées du passé, comme celles entre les pays
pauvres et les pays riches.
Il s'agit en fait de
l'extraordinaire arrogance qui consiste à penser que nous sommes
meilleurs que les autres, que nous sommes les dépositaires de
quelque chose qui nous donnerait le droit de dénier aux autres la
permission d'être ce qu'ils sont.
* * *
Mais d'où vient donc
cette prétention ! ?
Certains diront
qu'elle vient précisément de l'invitation à faire de toutes les
nations des disciples du Christ !
Seulement, que
disent les mots de cette invitation ? En particulier, qu'est
ce qu'une nation ? Et aussi, qu'est
ce qu'un disciple ?
Commençons par les
nations. C'est une des manières de traduire τὰ ἔθνη (ta
ethnè, qui a donné le mot ethnie).
On peut aussi le traduire par les
peuples. Dans la Bible, c'est la
manière traditionnelle de désigner les non-juifs. Ici, il s'agit de tous les
peuples.
Rien à voir avec
les nations au sens où nous l’entendons aujourd'hui. Il ne s'agit
pas des États, mais des gens, dans leur diversité.
Rien non plus de
l'idée qu’un peuple serait moins bon qu'un autre, du simple faite
qu'il n'a pas entendu parler ni de Dieu, ni de Jésus-Christ. Au
contraire, Jésus n'a pas cessé, au grand dam de ses
coreligionnaires juifs, de souligner que les étrangers font souvent
meilleur accueil à l'évangile que ses destinataires supposés !
Pensez à la femme syro-phénicienne, ou à la Samaritaine.
Et, justement dans
notre passage, il est rappelé que les onze disciples eux-mêmes ne
sont pas des champions de la foi : ils ont des doutes !
Ces doutes ne sont
pas mentionnés par hasard : ils sont constitutifs de la mission !
Il s'agit
d'espérance, de foi en quelque chose d’impalpable, et pas de
certitudes que l'on pourrait imposer aux autres. Je dirais même que
c'est ce qui rend la mission crédible. Non pas l'arrogance de ceux
qui pensent avoir compris le monde et se font devoir de l'expliquer
aux autres, mais les mots d'une fragile espérance : je crois que
Jésus-Christ a ouvert un chemin qui surmonte même la mort. C'est
mon espoir et je le partage sans exclure qui que ce soit, mais dans
le respect de ma propre fragilité et de celle de l'autre.
* * *
Maintenant, qu'est ce
qu'un disciple ? Qu'est-ce que c'est, « faire des disciples » ? Et
en particulier, faire des disciples alors qu'on en est un soi-même ?
Un disciple, un μαθητής (mathétès),
c'est quelqu'un qui veut apprendre, qui se met en quelque sorte à
l'école de Jésus-Christ. C'est un curieux, un curieux de Dieu, de
la vie, mais aussi de l'autre, de la même façon que le Christ s'est
toujours intéressé aux autres.
Faites des disciples
: soyez curieux, et contaminez les autres avec votre manière de vous intéresser, de poser les
bonnes questions, d'avancer dans la vie. Ne vous prenez pas pour des
maîtres ! Osez ne pas savoir !
Comment faudrait-il
aujourd'hui paraphraser « faites de toutes les nations mes
disciples » ?
Une proposition : «
Soyez des curieux de Dieu, partagez votre curiosité sans exclure
personne, faites des autres des curieux de Dieu, comme vous.
* * *
Avec ça, on n’a
pas répondu à la question : « D’où vient la prétention
d'être meilleurs que les autres ? »
On peut chercher des
boucs émissaires. Accuser la religion, les idéologies, la société,
le monde économique…
L'honnêteté, c'est
de reconnaître que cette prétention d’être meilleurs que les
autres n'a besoin ni de religion, ni d’idéologie.
Comme dirait Georges
Brassens, cette prétention vient tout simplement du fait d'être
né quelque part, et de penser que ce
lieu, l'air qu'on y respire, la terre qui s'y trouve, et même le
crottin des chevaux sont meilleurs qu'ailleurs.
Funeste illusion, à
laquelle l’invitation de Jésus à sortir du cadre est justement
une réponse !
Allez !
Intéressez-vous aux autres ! Oser vivre dans l'espoir plutôt que
dans la peur ! Ne rougissez pas d’être en recherche ! Devenez des
disciples ! Ouvrez-vous, et aider les autres à s’ouvrir aussi !
Amen
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