15 novembre 2015

Vous avez dit sacrifice?


Attentats à Paris, émotion mondiale
La notion de sacrifice expiatoire paraît d'un autre temps. Pourtant avec les attentats de Paris, on réalise à nouveau avec effroi qu'elle est devenue centrale dans la nébuleuse islamiste. Or dans notre culture occidentale, elle n'est pas si absente qu'il n'y paraît. Et le terrorisme ne "fonctionne" que grâce aux deux cultures, celle de l'islamisme et celle de l'information globalisée.
Attentats à Paris, émotion mondiale
Prédication du 15 novembre 2015, Berne

Lecture: Hébreux 10,9-18








Chers Amis,
En entendant ce passage, on sent bien qu'il a été écrit dans un autre temps, un temps où la vie des gens était peuplée de rites qui n'ont plus cours aujourd'hui.
Ainsi, ces prêtres du temple de Jérusalem, qui offraient tous les jours des sacrifices pour expier les péchés des gens. Le texte en parle comme d'une réalité normale, celle qu'a aussi connue Jésus quelques années plus tôt.
Mais celle que connaissent aussi les Grecs et les Romains… à la différence que les Grecs et les Romains avaient de nombreux dieux à qui faire des sacrifices, pour un peu tous les domaines de la vie, alors que les Juifs n'ont qu'un seul Dieu… et en plus invisible… et qui ne doit être représenté par aucune statue.
À part cette différence, à l'époque c'est un peu tout le monde qui est occupé par ce souci de faire faire des sacrifices expiatoires, pour rester en bons termes avec le monde divin, et en particulier pour obtenir d'être libéré de ce qui pèse, de la mauvaise conscience, de l'inquiétude.
Comme ce temps paraît lointain! Et l'idée même de sacrifices sanglants nous paraît si étrange!
Dans la religion juive, le Temple de Jérusalem a été détruit en 70 après J.-C. par les Romains, et depuis lors, cette sorte de sacrifices n'a jamais été réintroduite.
Visiblement, l'auteur de notre passage l’a écrit avant la destruction du Temple. Mais pour lui, ces sacrifices n'ont déjà plus de sens, à cause de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.
Quant à la religion gréco-romaine, avec ses dieux et ses sacrifices, elle a survécu pendant encore trois siècles, puis elle a aussi disparu, pour être remplacée par la chrétienté.
Alors pourquoi lire un passage qui parle d'une réalité périmée depuis bien longtemps? Aujourd’hui, chez nous, plus personne ne parle de sacrifice. Même l'idée de la mort du Christ, présentée comme un sacrifice paraît pour beaucoup de gens un peu incongrue.
Bon, les sacrifices rituels d'animaux dans un but expiatoire ont disparu de la vie religieuse… mais la notion de sacrifice expiatoire… a-t-elle vraiment disparu?
Bien sûr, on pense tout de suite aux attentats suicides de vendredi, et l’on réalise avec effroi que dans la nébuleuse islamiste, cette idée de sacrifice est devenue absolument centrale, mais d’une manière horriblement déformée. Les terroristes sont persuadés d’une part de sacrifier leurs cibles et de leur faire ainsi expier ce qu’ils considèrent comme leurs péchés (d’où le côté symbolique d’attaquer un lieu comme un cabaret), et d’autre part de s’offrir eux-mêmes en sacrifice, expiant du coup leur propre faute. Et ces sacrifices sont offerts à un dieu terrible, qui n’a plus rien à voir avec le Dieu des Juifs et des Chrétiens, ni même avec Allah le miséricordieux, tel que le Coran nous le présente.
Mais qu’en est-il du sacrifice expiatoire dans notre culture occidentale ? Pour ma part, je le trouve très présent dans notre société postmoderne ou postchrétienne, notre société si sûre d'avoir dépassé tous ces archaïsmes…
Tous les soirs à 19h30, on peut voir à la télévision une sorte de grand prêtre des temps modernes, dans un rituel presque immuable, nous amener des nouvelles du monde. Il rassemble et résume tout ce qui s'est passé dans la journée, en particulier tout ce qui s'est mal passé.
Et quel est le but de ce rituel? Nous informer? Mais pourquoi faire? De la plupart des nouvelles, nous ne pouvons que prendre note et nous émouvoir, et déplorer…
Pourquoi faut-il ainsi rassembler ce qui nous pèse, ce qui nous inquiète pourquoi faut-il le nommer, sinon pour essayer en quelque sorte de prendre le dessus?! Pour se convaincre qu'on est plus fort que le mal qui est montré?!
Nous convoquons ainsi le mal pour mieux le renvoyer là d'où il vient, si possible très loin ! C'est bien une sorte de rite expiatoire!
Le grand prêtre du téléjournal ne sacrifie pas d'animaux. Mais le rite vise le même but : désigner le mal, le péché, et nous en libérer. À la fin, les téléspectateurs reçoivent la bénédiction : «Je vous souhaite une bonne soirée». Et ensuite on passe à un autre rite dont on pourrait aussi parler un jour: la météo…
Or ce que dit l'épître aux Hébreux, c'est justement que le rite expiatoire échoue dans son but-même. Le sacrifice, même répété tous les jours, reste à jamais incapable d'enlever le mal.
Il produit même l'effet contraire: il nous rend encore plus captifs de nous-mêmes. Il renforce notre peur, tout en nous détachant des réalités qu'il nous montre. Il nous endurcit: «Quelle chance que je ne sois pas comme ce que le téléjournal nous montre! Quelle chance que je ressemble plus au présentateur tiré à quatre épingles, ou à la présentatrice toute d'élégance vêtue, qu'aux pauvres victimes qui m'ont été montrées!».
Le grand, le terrible paradoxe, c’est que le terrorisme ne fonctionne que par la rencontre de ces deux cultures du sacrifice, celle de l’islamisme extrémiste, et celle du « grand-prêtre » du journal télévisé. C’est notre propre addiction à l’information immédiate et globale qui rend efficace l’action terroriste, en la relayant à l’infini.
Car l’action terroriste ne fait que des dizaines, au plus des centaines de morts, alors que la guerre, celle en Syrie par exemple, en fait des centaines de milliers, voire des millions.
L’épître aux Hébreux nous dit que tous ces rites expiatoires sont incapables d’enlever le mal qu’ils prétendent combattre. Aussi bien ceux du passé que ceux du présent, ceux des extrémistes que les nôtres.
Mais en même temps, elle nous parle du Christ, comme celui qui a établi un nouvel ordre en accomplissant lui-même ce que les sacrifices ne pouvaient pas atteindre.
Elle nous montre comment ce que Jésus-Christ a accompli, à la fois ressemble aux sacrifices expiatoires, et en même temps s’en différencie complètement.
Là, j'aimerais dire quelque chose qui me paraît très important.
Ce que Jésus a fait dépasse ce que nous pouvons en dire. Ce qui est premier, c'est l'étonnement des disciples face à leur expérience de la Résurrection. Ce qui vient ensuite, c'est la tentative de dire cette expérience et ce qu'elle signifie. Le Nouveau Testament nous donne de nombreuses traces de cet effort de dire l'indicible, avec des langages parfois très différents, mais toujours la conviction que ce qui s'est passé là a un caractère unique et irrévocable. Autrement dit, il y a un avant et un après. La croix et la résurrection ont changé quelque chose. Elles l’ont changé pour toujours.
Et nous devons continuer aujourd'hui à chercher des mots pour dire le sens de ce qui s'est passé, d'une manière qui puisse être comprise par les gens de notre temps. Nous sommes des interprètes de la résurrection, comme l'ont été les premiers chrétiens. Leur témoignage nous inspire, mais c'est à nous de trouver des mots compréhensibles pour aujourd'hui.
L'auteur de l'épître aux Hébreux utilise l'image du sacrifice dans le Temple, pour montrer que Jésus-Christ à lui non pas joué ce sacrifice, comme le faisaient les prêtres tous les jours, mais qu'il la vécu en lui-même, qu'il a accompli le sens de ce sacrifice, une fois pour toutes. Et le sens de ce sacrifice réside dans la façon de Jésus de vivre l’amour de Dieu, jusqu’à l’extrême.
Par son don de lui-même, qui est en même temps don de Dieu, il nous a libérés de l'angoisse du pardon, en nous offrant ce pardon de façon définitive. Ce n'est plus à nous de porter la charge du mal, la nôtre, et celle du monde. Le Christ l'a déjà portée pour nous!
Nous n'avons rien à expier! Nous pouvons vivre de la grâce, vivre dans la gratuité et la générosité, avec la promesse que l'accomplissement du projet créateur de Dieu est dans sa main.
Personne ne nous oblige à nous associer aux rituels culpabilisants du téléjournal. Personne ne nous fait devoir de porter le poids de la souffrance du monde, surtout pas si c'est pour nous blinder au point que nous n’arrivions plus à voir la souffrance du prochain qui se tient à notre porte!
De spectateurs impuissants et culpabilisés, nous pouvons devenir les bâtisseurs d'un monde différent, dont le Christ est l'architecte et dont la mesure est l'amour du prochain.
Le travail commence ici, chez nous. Ce n'est pas un combat désespéré, car le mal est déjà vaincu! C'est la construction patiente d'un édifice que dans l'espérance, nous voyons déjà!
Amen
Olivier Schopfer


Introduction à la prière d’intercession
On aurait tort de conclure que comme chrétiens, nous devrions cesser de nous intéresser à l’actualité. Bien au contraire ! Mais nous devons nous y intéresser dans un esprit différent, un esprit de confiance en Dieu. Un esprit qui sait prendre distance, qui mesure que les nouvelles que nous recevons ne représentent souvent qu’un aspect des choses.
C’est tout le sens de la prière d’intercession : Nous exercer à élargir notre regard, tout en apportant à Dieu à la fois ce qui nous préoccupe et ce qui nous réjouit.
Que notre prière soit toujours plus large !
Que notre prière s’efforce de n’oublier personne!
Que notre émotion légitime pour la souffrance des proches
ne nous fasse pas ignorer celle des autres, de part le monde.
Que notre prière dépasse les frontières,
celles entre les pays, celles entre les cultures,
celles entre les convictions !
Que notre prière ait en vue ton projet
d’une humanité réconciliée
avec elle-même
et avec toi.
Que notre prière tienne bon dans la confiance que ce projet est d’actualité, plus que jamais.
Qu’elle sache en reconnaître les germes d’amour, ici et ailleurs.
Et qu’elle les entoure de soins, dans l’attente de la plus belles des récoltes.

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